La section syndicale ASSO-Solidaires du Secours Catholique nous propose son analyse, construite collectivement, de la question du sentiment de culpabilité qui ne quitte pas les professionnel·le·s de l’associatif que nous sommes.
A la CGT Forum réfugiés, nous encourageons le pluralisme syndicale lorsqu’il est de qualité, indépendant de la direction, et qu’il ose porter des revendications pour l’intérêt général. C’est pourquoi nous partageons ce texte rédigé un autre syndicat.
Pourquoi maintenant ? Parce que l’Etat d’urgence sanitaire que nous connaissons actuellement nous a collectivement mis·es à l’épreuve et a fait ressurgir cette question – qui par ailleurs nous traverse tout le reste de l’année. Il leur a semblé pertinent de lier cette question à celle du genre. Leur volonté ici est de permettre à des vécus qui peuvent sembler individuels de trouver une lecture structurelle et politique : culpabiliser de ne pas en faire assez pour les plus précarisé·e·s n’est pas anodin !
Culpabiliser de ne pas être autant qu’on le voudrait sur le terrain, parce qu’on a des enfants à garder ou que l’on est vulnérable, ne l’est pas non plus !
Genre et travail associatif
Le secteur associatif, particulièrement dans le domaine social et humanitaire, s’est construit sur la professionnalisation progressive d’un travail accompli gratuitement par des femmes et, dans une moindre mesure, des hommes d’Église.
Nos métiers, majoritairement occupés par des femmes1, sont associés à un ethos féminin, c’est-à-dire un ensemble de caractéristiques qui les constituent et les définissent selon des normes habituellement associées aux femmes : attention, sollicitude, bienveillance, douceur, compréhension, humilité, écoute. Nous pensons que ces qualités dites « féminines » et habituellement associées aux femmes, sont le résultat d’un construit social (notre éducation, notre société) et n’ont rien de naturel. C’est la société dans son ensemble qui fabrique et assigne des caractéristiques différentes selon que l’on est une femme ou un homme.
Il y a pour autant des hommes qui occupent aussi les emplois du secteur associatif, qu’ils peuvent investir différemment et dans lesquels ils progressent plus facilement – alors que 79% des salarié·e·s sont des femmes dans la catégorie Employé·e·s-TAM, elles ne sont plus que 60% dans la catégorie Cadres2 au Secours Catholique.
Mais, de manière générale, les emplois du secteur associatif sont dévalorisés socialement et économiquement à plusieurs titres : parce qu’ils ne génèrent pas de valeur ajoutée, d’ailleurs on parle bien d’ « association à but non lucratif » et parce qu’ils sont à prédominance féminine3.
Aussi, l’assignation des femmes à la sphère domestique a des conséquences sur leurs possibilités de carrières.
Beaucoup de métiers à prédominance féminine sont dans la continuité du travail gratuit qu’elles ont effectué pendant des siècles et qu’elles continuent d’effectuer : l’entretien de la maison, l’alimentation et le soin aux enfants, malades et personnes âgées.
La notion de care4en tant que champ professionnel nous aide à penser cette réalité : infirmière, aide-soignante, éducatrice, professeure des écoles, hôtesse de l’air, travailleuse sociale, femme de ménage, assistante maternelle, caissière, cantinière sont autant de métiers mobilisant des compétences que l’on prend pour naturelles chez les femmes5.
Genre et culpabilité
Des compétences considérées comme innées et non acquises amènent à une dévalorisation du travail effectué et, certainement, à un sentiment de culpabilité si le travail n’est pas fait. Nous culpabilisons mais la société nous fait culpabiliser. Par exemple, pendant le confinement, un certain nombre de professionnelles de la couture ont confectionné des masques. Seulement, lorsqu’elles ont demandé à être rémunérées pour leur travail et non plus à le faire bénévolement, beaucoup de personnes ont désapprouvé, assimilant cette réclamation à un manque de solidarité et de civisme6.
La période de confinement, puis de ralentissement de nos activités à destination des personnes les plus précarisées a été l’occasion pour certain·e·s d’entre nous, salarié·e·s d’une association de lutte contre la pauvreté, d’expérimenter plus intensément encore le sentiment de culpabilité de ne pas en faire assez, pas assez bien. Elle en a même amené certain·e·s à en faire trop !
Nous pensons que notre mission, en tant que syndicat qui souhaite travailler à la transformation sociale, est de permettre aux salarié·e·s de prendre conscience collectivement de notre condition et nous espérons que ce papier participera à ce mouvement.
Bonne lecture !