La violence envers les professionnels, si on n’en parle pas, c’est que ça n’existe pas !
Des nouvelles de notre collègue de Villeurbanne ?
Commençons par nous assurer que notre collègue va bien, qu’il est pris en charge dans de bonnes conditions. Les informations reçues sur son état de santé et son moral sont plutôt encourageantes. Une pensée forte va à lui, sa famille, ses proches. Avec une mention spéciale à ses collègues qui ont réagis pour lui venir en aide et protéger les familles hébergées dans le centre.
» Prononcer les mots violence et demande d’asile dans la même phrase, c’est stigmatiser les demandeurs d’asile ! »
» Parler des agressions commises par des demandeurs d’asile , c’est faire le jeu de l’extrême droite«
» Tu as fait le travail pour lequel on te paye ! » « Expliquer, c’est trouver des excuses! »
« Il s’agit d’un acte isolé » « On n’y peut rien car l‘agresseur souffrait de troubles psychiatriques »
Les phrases définitives qui ferment le débat et empêchent la réflexion sont nombreuses. Elle sont souvent l’expression de difficultés, de manque de connaissance et de sentiment d’impuissance de ceux qui les prononcent.
La prise en charge post traumatique d’un incident de type agression nécessite au contraire de parler, d’exprimer les émotions, parfois brutes, de nommer l’innommable, de dire la colère, la tristesse, la peur. Seulement après cette étape il sera rendu possible de penser la situation dans sa complexité.
Ni dramatiser, ni minimiser
Comment alors parler de l’agression que vient de subit notre collègue ? Comment, après l’effroi et la stupeur, passer à l’analyse et la compréhension de la situation de travail qu’elle révèle? Plusieurs étapes sont nécessaires:
1- Se mettre d’accord sur un constat
Les agressions sont le quotidien de nombreux professionnels. « Les secteurs d’activité concernés sont notamment les entreprises de transports publics, l’éducation nationale, le secteur sanitaire et social (hôpitaux, services sociaux, …), les agences bancaires et postales, les grandes surfaces commerciales… En particulier, les services publics focalisent toute l’insatisfaction et les frustrations sociales dont l’État et la société sont rendus responsables » nous explique le site Officiel Prévention.
Elles peuvent prendre plusieurs formes: incivilité, agression verbale, menaces, insultes, agression physique et acte violent de destruction ou de dégradation. Toutes ont des effets sur les salariés qui les subissent.
2- Identifier le rôle et la responsabilité de chacun en matière de sécurité au travail
Employeur: D’après L’INRS,(1) « le Code du travail énonce l’obligation pour l’employeur d’assurer la sécurité et de protéger la santé des travailleurs pour tous les aspects liés au travail, ce qui implique notamment de prévenir les violences externes qui surviennent dans le cadre du travail.
Au cours de l’évaluation des risques qu’il est tenu d’effectuer, l’employeur doit repérer les éventuels postes ou situations de travail à risque, les personnes exposées et les principaux facteurs de risque (ou principales causes).
À partir de cette évaluation, des mesures de protection collective permettant de prévenir les situations de violence externe doivent être recherchées avec les travailleurs concernés. »
Salarié: D’après l’INRS, « à chaque travailleur de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail.
Le salarié apporte l’expérience de terrain de son activité professionnelle aux personnes en charge de la prévention (encadrement, membres du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou délégués du personnel…).
Il met en lumière des contraintes directement vécues dans le cadre de son travail, par lui-même ou par ses collègues. Ses remarques sont d’autant plus intéressantes qu’elles pointent des difficultés qui ne sont pas forcément visibles pour des personnes extérieures à son poste du travail. »
3- Analyser les origines de la violence pour la prévenir
De quoi la violence est elle l’expression? Comment comprendre un tel passage à l’acte de la part d’une personne que des professionnels de l’association accompagnent au quotidien?
Face à des public en détresse, les potentialités de passage à l’acte sont plus élevées, explique l’INRS dans un article intitulé Violences externes de son mensuel Travail et sécurité.
Ce phénomène s’applique aussi bien aux CAF, aux POLE EMPLOI, aux bailleurs sociaux, aux hôpitaux, aux transports en commun. Il est exacerbé par l’ère du tout numérique car les travailleurs sociaux sont les derniers au contact des publics fragiles quand l’État et les administrations organisent leurs réponses au travers de plateformes web déshumanisées, porteur d’une grande violence sociale.
4- Élaborer et mettre en œuvre des mesures préventives
D’une manière générale, la démarche de prévention la plus efficace est collective. Elle doit être mise en œuvre par l’employeur et suppose l’implication de la direction, de l’encadrement, du pôle ressources humaines et des représentants du personnel. Car il s’agit d’interroger l’organisation du travail, le management, les modes relationnels, la répartition des tâches, la clarification des rôles de chacun…
Trois types de prévention sont mobilisables :
- La prévention des causes de violence qui tend à intervenir, en amont, sur les déterminants de cette violence : il s’agit de la prévention primaire ;
- La prévention des risques de passage à l’acte violent, qui s’attache à réduire les risques d’expression de cette violence à l’encontre des salariés : il s’agit de la prévention secondaire ;
- La prévention « curative » suite à un acte de violence, qui prend en charge la ou les personnes en situation de souffrance : il s’agit de la prévention
Les mesures de prévention adaptées sont de trois types :
- Organisationnelles ;
- Techniques ;
- Humaines
La tentation de la solution technique : le portique détecteur de métaux, caméra, interphone vidéo sont des solutions techniques qui peuvent être rapidement sollicitée comme solution. A quel besoin répondent elles exactement? L’objet à lui seul va t il empêcher la violence ou la déplacer?
5- Suivre et contrôler l’effectivité des mesures
Chaque mesure de prévention doit faire l’objet d’un suivi et d’une évaluation.C’est la garantie que l’on saura tirer un enseignement de la situation critique survenue afin d’éviter qu’elle se renouvelle, un des rôles essentiels de la prévention.
« Pour mesurer l’efficacité des actions, la mise en place de critères ou d’indicateurs est nécessaire. La pertinence de ces indicateurs est issue de la réflexion collective qui associe l’ensemble des fonctions et métiers de l’entreprise. Il faut d’ailleurs vérifier le maintien dans la durée de la pertinence et de l’efficacité des actions de prévention, de l’organisation qui les encadre et des indicateurs qui permettent de les évaluer, » nous dit l’INRS.
Pour la CGT, il faut aussi interroger le système d’accueil des demandeurs d’asile
« Mal nommer les choses, jugeait Albert Camus, c’est ajouter au malheur du monde. Ne pas nommer les choses, c’est nier notre humanité. »
Notre système d’accueil des demandeurs d’asile produit de la violence. En témoignent chaque jour les images de lacération de tentes et d’abris dans le Calaisi, les reconduites à la frontière illégales des mineurs « interceptés » dans les montagnes entre l’Italie et la France ou l’Espagne et la France, les campements sauvages installés par des associations militantes pour venir en aide aux femmes, aux efants et aux hommes non pris en charge, les orientations forcées depuis l’Ile de France, les défauts d’accès aux guichets des Préfecture etc..
Une politique de dissuasion qui génèrent violence et trauma à l’arrivée et durant le séjour en France
Les demandeurs d’asile quittant leur pays et prenant des risques pour rejoindre l’Europe sont nourris par un espoir: trouver un lieu qui leur accordera une meilleure vie dans un état de paix et d’absence de violences militaires et policières, porteur de démocratie, de liberté, d’égalité dans l’accès au droit et de rejet de l’arbitraire. Année après année, un écart se creuse entre ses espoirs d’accueil et la réalité vécue.
La violence structurelle de l’État français dans la demande d’asile
C’est le titre d’un article de 2015 par Karine Gatelier, anthropologue, qui étudie les modalités de la présence des exilés dans la société française. Elle y détaillait déjà les différentes formes de cette violence structurelle:
- Il y aurait des bons et des mauvais pays de demande d’asile et des « vrais » réfugiés,
- les demandeurs d’asile sont soupçonnés d’abuser du droit d’asile et de le dévoyer pour dissimuler une migration économique,
- ces soupçons positionnent les demandeurs dans la culpabilité,
- la défaillance de l’État à garantir droit à un hébergement, à une couverture médicale, et à un revenu de subsistance entraine une forte précarisation de l’existence des réfugiés : ils dorment à la rue, ils se nourrissent dans les associations caritatives,
Et depuis 2015 ?
Les récentes réformes de l’Asile qui se sont succèdées ont entrainé un transfert de responsabilité de l’Etat vers ses opérateurs: la transfert de la file d’attente des préfectures vers les SPADA en est la parfaite illustration.
D’autres exemples: la possibilité pour les opérateurs d’hébergement de saisir la justice pour procéder à des expulsions de leur structure, la mise en intermédiaire des gestionnaires quasi systématique entre les administrations de l’État et les demandeurs d’asile pour notifier des décisions administratives, les primo arrivants ont comme seuls interlocuteurs institutionnels les professionnels des SPADA, représentants de l’État dans cette mission sous dotée budgétairement de délégation de service publique qui ne dit pas son nom.
Le manque de place d’hébergement entraine des conditions de vie d’une très grande précarité et le lien de cause à effets entre précarité et détérioration de la santé physique et psychique n’est plus à faire.
Et la liste s’allonge: l’accès à l’espèce rendu impossible avec la carte ADA, la carence de trois mois d’accès à la sécurité sociale, la gestion administrative des mineurs isolés, la stigmatisation des personnes étrangères dans de nombreux médias, le défaut d’accès aux guichets des Préfectures….
Le Ministère de l’Intérieur au commande de l’Asile
Avec un ministère de l’Intérieur au pilotage de l’accueil des demandeurs d’asile, nous pouvons légitimement nous inquiéter de ses faibles connaissances en matière d’accompagnement social. Nous le constatons chaque jour avec les déboutés dont les vulnérabilités s’annulent avec la fin de leur demande d’asile, les réfugiés hors centres dans la précarité parfois depuis de nombreuses années ou les familles parfois mises à l’abri dans des conditions d’hébergement proche de l’insalubrité…
Quelle est donc la stratégie de l’État depuis toutes ces années? Nous, travailleurs sociaux de l’asile, sommes nous condamner à assister impuissants à la remise en cause de la politique de l’accueil affichée par la France et portée par des associations au passé militant fort aujourd’hui enfermée dans des logiques de marché, de mise en concurrence dont elles ont de plus en plus de mal à s’affranchir ? Et les publics dans tout ça?
Quelles réponses opérationnelles imaginer, pour atténuer les difficultés rencontrées par les publics de l’association ? Et avec quels moyens ?
Comment prévenir les violences subies par les familles que nous accompagnons sans interroger les violences que le système français produit ?
(1) L’INRS, Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles : Organisme généraliste en santé et sécurité au travail, l’INRS intervient en lien avec les autres acteurs institutionnels de la prévention des risques professionnels. Il propose des outils et des services aux entreprises et aux 18 millions de salariés relevant du régime général de la Sécurité sociale.