Novlangue managériale et souffrance au travail

« Le discours managérial porte les valeurs des dirigeants ; il est un signe de pouvoir, et influence le comportement des acteurs des organisations de travail, et même au-delà. »

Alors que plusieurs collègues aient reçu des sanctions disciplinaires après avoir (oser) interroger la novlangue managériale apparue depuis quelques années au sein de l’association, comme dans de nombreux pan de la société, la CGT Forum réfugiés vous propose de prendre connaissance du travail d’Agnès VANDEVELDE-ROUGALE dont les recherche portent sur le discours managérial et son influence subjective, qu’elle étudie notamment au prisme de la mise en mots d’expériences de souffrance au travail.

Docteure en anthropologie et sociologie, chercheuse associée au Laboratoire du Changement Social et Politique de l’Université Paris Cité, elle a publié sa thèse de doctorat à destination du grand public aux éditions Érès en 2017 sous le titre La novlangue managériale. Emprise et résistance, prix 2018 du meilleur ouvrage sur le monde du travail décerné par Le Toit Citoyen. Elle publie en 2022 un nouvel essai aux éditions 10/18 intitulé Mots et illusions : quand la langue du management nous gouverne, pour inviter à questionner le jeu du pouvoir et de ses mots.

Agnès Vandevelde-Rougale mobilise une métaphore biologique et médicale, celle de l’infection virale, pour rendre compte de cette intériorisation du discours managérial. Métaphore qui propose un écho critique d’une pratique actuelle tendant à renvoyer des problématiques psychosociales telles que la souffrance au travail à la sphère médicale, et contribuant, avec les mots de l’entreprise qui colonisent la pensée, à en dissimuler les dimensions organisationnelles et sociales

Parler de « novlangue managériale », c’est parler d’une violence qui s’exerce, via le langage et de manière ouverte ou insidieuse, à l’encontre du sujet et des collectifs de travail.

Aux violences du monde du travail s’ajoute une autre violence qui entrave l’expression du sens, la communication des émotions, l’évocation de la souffrance. Une violence qui rend le vécu des sala­riés inexprimable et inaudible. Une violence qui touche le rapport du sujet au langage.

Comment dire le mal-être au travail ? Que faire des émotions ressenties au travail, celles qu’on ne peut pas exprimer parce qu’on se révèlerait « trop sensible », ou pas suffisamment « performant » ni « professionnel » ? Comment dire la peur, celle qui est jugée « irrationnelle » ? Considérés comme des « ressources humaines », les travailleurs n’arrivent plus à donner du sens à ce qu’ils vivent.

Lorsqu’un salarié souffre, la novlangue managérial interroge plus la façon dont il aurait du exprimer sa souffrance que les causes de celle-ci. Le professionnel qui souffre devient ainsi responsable de sa propre souffrance.

C’est un processus diffus, souterrain, insidieux. Il est certainement sous-tendu par une idéologie gestionnaire néolibérale, mais cette idéologie n’est pas imposée par une instance unique : elle se met en mouvement, en premier lieu, dans le discours des managers et des consultants, au sein des entreprises, et avec le discours du « développement de soi ».

On en arrive à taire l’expression sensible de ses émotions pour se faire entendre dans l’organisation du travail, jusqu’à perdre confiance dans sa capacité à dire et à comprendre son expérience et dans le pouvoir du langage comme instrument de lien social. Pourtant, l’analyse de nos impasses et de nos malaises peut nous pousser vers le désir d’en sortir pour nous retrouver.

Remettre du sens pour garder l’équilibre, s’extraire de l’emprise de la novlangue managériale et rester en bonne santé psychique, questionner les rapports sociaux qui traversent le travail, relève d’une prise de conscience.
Vous pouvez écouter ici une intervention d’Agnès VANDEVELDE-ROUGALE.

Article réalisé à l’aide de souffrance et travail.

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