En quoi le nouveau règlement intérieur soulève de nombreuses questions dans une association dont les statuts mentionnent parmi ses activités : « promouvoir et défendre partout dans le monde les droits humains, l’état de droit, la démocratie, la bonne gouvernance et le développement local » ?
Le règlement intérieur précédant mis en place en 2002 présentait quelques carences. Notamment par rapport aux obligations réglementaires prévues par la loi n° 2022-401 visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte, et instaurant la même protection pour les témoins et les victimes de harcèlement.Une réécriture s’imposait alors à tous les employeurs depuis le 1er septembre 2022. Mais les modifications récemment apportées par la direction comportent aussi de nombreux ajouts concernant le pouvoir disciplinaire de l’employeur.
La CGT vous propose de regarder de plus près les nouveaux contenus du règlement intérieur passé de 35 à 91 articles et sous articles.
Le règlement intérieur rappelle :
> Les mesures d’application de la réglementation en matière de santé et de sécurité dans l’entreprise ou l’établissement, notamment les instructions prévues à l’article L.4122-1 du code du travail.
> Les conditions dans lesquelles les salariés peuvent être appelés à participer, à la demande de l’employeur, au rétablissement de conditions de travail protectrices de la santé et de la sécurité des salariés, dès lors qu’elles apparaitraient compromises précisés à l’article L 1321-1 du code du travail.
> Les dispositions relatives aux droits de la défense des salariés (procédures disciplinaires) définis aux articles L1332-1 et L1332-3 du code du travail ou par la convention collective applicables.
> Les dispositions relatives aux harcèlements moral et sexuel et aux agissements sexistes prévues par le code du travail Articles L 1553-1 à L 1553-6
> La protection des lanceurs d’alerte et des témoins et victimes de faits de harcèlement
> Le règlement intérieur peut également contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise, et si elles sont proportionnées au but recherché. Cette disposition est apparue dans le code du travail Article L1321-2-1 en 2016.
Focus sur le thème disciplinaire: création de nouveaux articles
Le règlement intérieur, obligatoirement écrit, fixe exclusivement les règles générales et permanentes relatives à la discipline (conditions de circulations dans ou en dehors de l’établissement, respect de l’horaire de travail…) et notamment la nature et l’échelle des sanctions (avertissement, mise à pied…). Avant le 15 octobre 2023, certains faits (propos ou actes de salarié.e.s) ne pouvaient être légalement considérés comme fautifs parce qu’absents du précédent règlement intérieur. En effet, une sanction ne peut alors être prononcée à l’encontre d’un salarié que si elle est prévue par le règlement intérieur.
Ainsi, l’apparition de nouveaux articles augmente le pouvoir disciplinaire de l’employeur en lui permettant ainsi de mettre en œuvres des sanctions sur des faits en lien avec :
- l’usage des outils numériques appartenant à l’employeur : ordinateur, téléphone, logiciels, emails (Art 9.6)
- l’expression d’opinions politiques, philosophiques ou religieuses (Art 14 et 15)
- les modalités de communication avec le public ou entre collègues (Art 12)
- le respect des horaires de travail (Art 4 et 8)
- le départ de son poste de travail (Art 7)
- l’obligation de port de vêtements à l’occasion de certaines activités (Art 23)
Pour la CGT, certaines dispositions peuvent être interprétées comme allant à l’encontre de principes de défenses des droits des personnes
Par la mise en place d’une obligation de réserve à l’article 15 du nouveau règlement intérieur, comment veiller à ce que les nouvelles obligations qu’il impose aux salarié.e.s ne puissent être utilisés pour créer une forme de délit d’opinion au sein de l’association? Dans sa rédaction, la CGT y voit une remise un danger pour la mise en œuvre de la défense des intérêts des personnes accompagnées, demandeuses d’asile, réfugiées ou retenue, prévues en ces termes par les statuts de l’association : l’objet de l’association est d’ « accompagner les étrangers dans l’exercice effectif de leurs droits et lutter contre les discriminations dont ils pourraient être l’objet; être un interlocuteur privilégié des pouvoirs publics ».
Les salarié.e.s de l’association dont les missions intéressent l’accès aux droits, exercent dans un contexte sensible. Leurs actions en faveur des personnes peuvent parfois aller à l’encontre de visions de l’État financeur : lors de défauts de remise de demande de titre de séjour en préfecture, lors d’accompagnement sur du contentieux relatif au droit au séjour, au droits aux CMA (conditions matérielles d’accueil),
Une fonction d’alerte des pouvoirs publics par l’association pourtant cruciale
En étant au plus près des femmes, hommes et enfant, les publics cibles, il est possible d’identifier des carences ou des nouvelles situation dans leur accès aux droits, qui peuvent ensuite être remontées aux pouvoirs publics.
Comment s’assurer que les limites à la liberté d’expression, telles que prévues par le règlement intérieur, ne puissent être utilisées pour sanctionner un.e salarié.e souhaitant faire son travail de défense de l’intérêt des personnes accueillies? Par exemple, dans quel cadre est il possible pour un.e salarié.e sans craindre d’être sanctionné.e :
- de s’entretenir avec un.e avocate protégeant les intérêts d’une personne accueillie ?
- de partager avec des partenaires des préoccupations professionnelles dans l’intérêt des personnes accompagnées ?
- de témoigner de défaut d’accès aux droits des personnes constatés dans le cadre de ses fonctions au sein de l’association ?
- d’interpeller une autorité supérieure (comme le défenseur des droits) dans le cas où une note interne de l’association contreviendrait par exemple à des dispositions internationales relatives au droit de l’enfant ?
On le sait, en matière d’accompagnement des personnes étrangères, demandeuses d’asile et réfugiées, des directives de l’État soulèvent de nombreuses interrogations éthiques. La vigilance du secteur associatif, dont Forum réfugiés fait partie, avec entre autre le FAS, le Comède, l’ANAFE, FTDA, la Cimade, Le Gisti, Médecins du Monde etc , constitue un contre pouvoir nécessaire dans une démocratie.La libre d’expression de ses associations en est une des garanties. Comment alors nourrir cette action de plaidoyer dont on sait qu’elle part des observations de terrain tout en restreignant la liberté d’expression à l’interne de l’association ?
La CGT appelle les instances dirigeantes de l’association à la plus grande vigilance sur les restrictions de la liberté d’expression rendues possibles par le nouveau règlement intérieur, dans un contexte où les salarié.e.s nous font souvent part d’un manque d’espace de dialogue associatif sur l’éthique professionnelle et sur leurs difficultés à faire face aux situations de grandes précarités et de vulnérabilités multiples des personnes accompagnées.
Introduction d’un principe de neutralité créant une discrimination ciblée
Dans sont article 15, le nouveau règlement intérieur instaure une obligation de neutralité rendu possible par le code du travail qui précise que : « Le règlement intérieur peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché. »
Exercer son droit à la défense en tant que salarié.e
En cas de convocation à un entretien préalable à sanction, vous pouvez contacter les élu.e.s CGT afin de vous faire accompagner et faire valoir votre droit à la défense :
Focus sur les clauses interdites
Dans tous les cas, le contenu du règlement intérieur ne peut restreindre les droits des personnes ou les libertés individuelles et collectives au-delà de ce qui est justifié par la nature du travail à accomplir et proportionné au but recherché. Ainsi un règlement intérieur ne peut prévoir de règles sur l’utilisation du crédit d’heures par les représentants du personnel, les heures supplémentaires ou l’ordre de passage aux douches…
Interdire les conversations personnelles, imposer une tenue de travail alors que l’intérêt de l’entreprise ne le justifie pas, prévoir des fouilles systématiques des armoires individuelles… Autant de mesures portant atteintes aux droits et libertés des salariés. En revanche, autoriser le contrôle d’alcoolémie de salariés qui exercent des fonctions susceptibles d’exposer des personnes ou des biens à un danger, est admis, dès lors que les modalités de ce contrôle en permettent la contestation.
De même, le règlement intérieur ne peut contenir de dispositions discriminant les salariés dans leur emploi ou leur travail, à capacité professionnelle égale en raison de leur origine, de leur sexe, de leurs mœurs, de leur orientation sexuelle ou identité de genre, de leur âge, de leur situation de famille ou de leur grossesse, de leurs caractéristiques génétiques, de la particulière vulnérabilité résultant de leur situation économique, apparente ou connue de l’auteur, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales ou mutualistes, de leur exercice d’un mandat électif local, de leurs convictions religieuses, de leur apparence physique, de leur nom de famille, de leur lieu de résidence ou de leur domiciliation bancaire, ou en raison de leur état de santé, de perte d’autonomie ou de leur handicap de leur capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français.
Lire le tract : PROTÉGER ET ACCUEILLIR, OU SURVEILLER ET PUNIR ?